Par May MAKAREM | 02/04/2011
OLJ
Archéologie Une avancée importante : l'installation portuaire de la cité antique de Byblos pourrait se situer sous la grande baie d'el-Skhiné, au sud du Tell ancien. Une équipe d'archéologues a obtenu du ministre sortant de la Culture, Salim Wardy, l'autorisation de mener une campagne de fouilles dans les zones côtières de Byblos. Financée par la Fondation Talal Makdessi, la première phase des travaux débutera en mai prochain.
Les témoignages historiques sur la dynamique portuaire de Byblos sont abondants, mais jusqu'à ce jour, aucune trace de ses structures n'a été trouvée. On ne connaît ni la localisation ni l'organisation spatiale du port. Cependant, les fouilles de Honor Frost, pionnière de l'archéologie sous-marine au Liban, ont permis de mettre en évidence un récif rocheux à deux kilomètres au large du Tell ancien. Selon elle, il est possible que cette « roche native », située sous la grande baie d'el-Skhiné et recouverte par l'ensablement à plusieurs mètres de profondeur, ait servi de zone d'ancrage aux « cargos » égyptiens.
Les nombreux indices recueillis par la suite ayant étayé cette hypothèse, une équipe d'archéologues s'est donné pour mission de retrouver les modalités de l'installation antique. « Au 3e millénaire, ne maîtrisant pas la navigation en mer, les pharaons avaient importé les techniques maritimes levantines (architecture navale) : les fouilles d'Ayn al-Soukhna et celles de Wadi Jarf sur la mer Rouge ont livré du matériel, bateaux et installations portuaires que les Égyptiens eux-mêmes qualifiaient de « giblites », autrement dit de Gubla - Jbayl. Ce modèle, attesté en Égypte comme étant « giblite », devrait donc exister à Byblos », insiste Martine Francis-Allouch, archéologue terrestre et sous-marine, chercheur associé à la chaire de « Civilisation pharaonique » du Collège de France et codirectrice de la mission
Les nombreux indices recueillis par la suite ayant étayé cette hypothèse, une équipe d'archéologues s'est donné pour mission de retrouver les modalités de l'installation antique. « Au 3e millénaire, ne maîtrisant pas la navigation en mer, les pharaons avaient importé les techniques maritimes levantines (architecture navale) : les fouilles d'Ayn al-Soukhna et celles de Wadi Jarf sur la mer Rouge ont livré du matériel, bateaux et installations portuaires que les Égyptiens eux-mêmes qualifiaient de « giblites », autrement dit de Gubla - Jbayl. Ce modèle, attesté en Égypte comme étant « giblite », devrait donc exister à Byblos », insiste Martine Francis-Allouch, archéologue terrestre et sous-marine, chercheur associé à la chaire de « Civilisation pharaonique » du Collège de France et codirectrice de la mission
« Au 2e millénaire, les témoignages sont plus nombreux encore, dit-elle. Les annales anciennes, telles que celles de Thoutmosis III, par exemple, décrivent les produits importés en Égypte et le dispositif servant à leur transport. Des représentations, sur les parois du temple de Karnak, de bateaux chargés de bois et de dignitaires de Byblos coupant des arbres témoignent égalemnt des transactions commerciales entre Byblos et l'Égypte. La documentation décrivant l'activité de Byblos à l'âge du bronze et à l'âge du fer est abondante aussi. Il ne manque que... le port ! »
Pour le localiser, l'équipe archéologique (essentiellement composée de Janine Abdel Massih, professeur à l'Université libanaise et spécialiste en carrière pour l'étude des entailles rocheuses, Michel Hélou, archéologue terrestre et sous-marin, et Nicolas Grimal, professeur au Collège de France et codirecteur de la mission) a obtenu une concession de trois ans pour mener des investigations sur « le littoral émergé et immergé de Byblos », indique Martine Francis-Allouch.
L'opération sera étalée sur trois phases. La première, financée par la fondation Talal Makdessi, débutera en mai prochain. Elle couvrira la zone de la nécropole de l'âge du bronze de Ras Byblos, où une série de 23 tombes, logées dans les cavités d'extraction de la roche, ont été relevées et topographiées en 2001. « Notre objectif aujourd'hui est de retrouver les limites physiques de cette nécropole et de comprendre sa relation au site antique », précise l'archéologue, ajoutant qu'« une investigation détaillée des entailles rocheuses, nombreuses dans la zone de Ras Byblos, sera menée, en parallèle, pour compléter l'étude effectuée par Janine Abdel Massih de l'exploitation de la roche en carrière » (le grès taillé aurait servi à la construction des temples de Byblos à l'âge du bronze).
La baie d'el-Skhiné
La deuxième phase, prévue à l'automne prochain, comprendra des sondages géomagnétiques et carottages, à l'embouchure de Nahr el-Fidar et dans la baie d'el-Skhiné, à la pointe sud du Tell de Byblos, et ce afin de relever les niveaux antiques enfouis. Cette exploration est indispensable pour retrouver la roche native, recouverte par l'ensablement à plusieurs mètres de profondeur qui, l'on suppose, aurait abrité l'installation portuaire de l'âge du bronze. Car selon les archéologues, la baie sablonneuse d'el-Skhiné - partiellement protégée par des récifs affleurants et sous-marins qui ont naturellement joué le rôle de brise-lames dans l'Antiquité - est largement ouverte vers le large, et semble bien adaptée aux transbordements des bois de cèdre à l'âge du bronze. Ses reliefs sous-marins culminant vers 20-30 mètres sous la surface du plan d'eau pouvaient recevoir des bateaux de gros tonnages.
La codirectrice de la mission explique d'autre part que lors des campagnes précédentes, les zones contigües à la baie d'el-Skhiné ont montré des différences de niveaux importantes, variant selon les cas de 1 à 8 mètres par rapport au niveau actuel de la mer. « Ces subsidences ou affaissements de terrain, très variés, sont dus, en partie, à l'érosion et aux jeux des plaques tectoniques à la suite des tremblements de terre survenus dans la région au sixième siècle de notre ère. Quelle que soit l'explication scientifique de ces différences de niveaux, il est nécessaire de reconnecter entre elles les différentes zones du site côtier antique pour reconstruire, à partir des éléments déjà trouvés, et à partir des résultats de nos deux missions, l'ensemble de l'installation portuaire de l'âge du bronze. »
En septembre 2012, le programme portera sur « le levage des sept ancres en pierre, sans doute antiques, trouvées lors de nos prospections sous-marines, à trente mètres de profondeur sur le haut-fond de "Dahret Martine", à deux kilomètres au large de Byblos », signale Martine Francis-Allouch, précisant que ces ancres percées, de taille considérable (d'environ 50 à 80cm de hauteur et de 30 à 40cm de largeur), sont fortement concrétionnées aux flans du récif. L'objectif est de les extraire de la roche, de les monter à la surface, de les tracter vers le rivage et de les nettoyer. Et l'archéologue d'affirmer que ces ancres sont un indice indiscutable du commerce naval antique de la ville de Byblos. « Qui dit ancres en pierre dit navires antiques ; qui dit navires pourrait dire... commerce phénicien. »