Pythagore est né à Sidon et le Christ y a prêché ;
le château de la Terre n'a pas été habité par Louis IX et le Khan el-Franj n'a pas été construit par Fakhreddine.
Par ces affirmations, le Pr André Sacy n'a pas hésité, au cours d'une conférence donnée au musée de l'AUB, à remettre en question des données historiques, considérant certaines légendes comme « totalement erronées et infondées ».
Chirurgien-dentiste, professeur à la faculté de médecine dentaire de l'Université Saint-Joseph, actuellement régent de l' International College of Dentists, Middle East Section, féru de l'histoire de sa ville natale, Saïda, dont il a « scruté » les moindres recoins tant au niveau des lieux que de leur histoire, André Sacy a mis en exergue certaines informations « régulièrement répétées à tort » et s'est arrêté sur bien d'autres qui n'ont pas été « assez exploitées », selon lui.
Au cours de sa conférence donnée au musée de l'AUB, il s'est penché sur plus d'un millénaire d'histoire (des croisades à l'indépendance) en explorant les sites d'une ville « citée 71 fois dans la Bible ».
Se basant sur des textes anciens, des reproductions de gravures et de photos d'archives, le conférencier a affirmé que le Christ a prêché non seulement à Tyr et à Sarepta, mais aussi à Sidon, et « le rocher sur lequel il s'est installé pour s'adresser à la foule a été cité dans plusieurs textes jusqu'à la période des croisades, avant de disparaître totalement de l'histoire », a-t-il fait observer.
C'est à Maghdouché qu'il a réalisé « un de ses premiers miracles, la guérison de la fille cananéenne », rappelle-t-il, ajoutant même qu' « en l'an 60, Paul et Luc ont rencontré à Sidon l'apôtre Pierre qui a nommé un de ses disciples évêque des lieux ».
Le conférencier révèle également qu' « après le séisme de 551 qui a frappé Beyrouth, Sidon a abrité la fameuse École de droit ».
Les musulmans et les « Franj »
Le conférencier souligne, par ailleurs, que Louis IX, dit saint Louis, n'a jamais habité le château qu'on lui attribue (le château de la Terre), « puisqu'il n'était pas encore construit lors de sa visite à Sidon. Les documents de Joinville relèvent qu'en 1253, saint Louis, qui est à Acre, envoie Simon de Montcéliard pour reconstruire les fortifications détruites par Saladin. C'est suite aux razzias musulmanes venant de l'intérieur que saint Louis arrive à Sidon et fait venir des ouvriers de toute part pour élever des hauts murs et des grandes tours... La même année, à l'emplacement d'une ancienne fortification fatimide construite au Xe siècle par al-Mu'izz, il fait bâtir le château de la Terre qu'on appelle château saint Louis. Par conséquent, Louis IX n'a jamais habité aucune de ces forteresses. Elles étaient toutes les deux en chantier. Vraisemblablement, lors de son passage à Sidon, il a campé à l'extérieur de la ville ».
André Sacy a en outre signalé que le château de la Mer a été érigé en quatre étapes. Il était doté de deux tours, de deux grandes salles, dont celle des Templiers, et d'une chapelle monumentale construite en 1260. Un mur le protégeait du côté de la mer. On y accédait par deux portes : l'une reliée à un quai menant à la terre, l'autre donnant accès à la mer.
L'époque des croisés, qui s'est étendue sur deux cents ans, a été marquée par des frictions et des trahisons entre clergés grec et latin, et des problèmes entre chrétiens et musulmans ; mais elle a connu aussi des alliances entre des seigneurs francs et des musulmans.
Le conférencier cite Ibn Jubayr qui écrit : « Les musulmans vivent dans le confort et en harmonie avec les "Franj", les fermes et domaines sont restés en leur possession, ils ne souffrent pas d'injustice, contrairement à leurs coreligionnaires en territoire musulman. »
D'autre part, les croisés, qui exportent en Europe la soie locale, le coton, l'huile d'olive et « la canne à sucre qu'ils découvrent dans la région de Sidon », épousent des chrétiennes grecques, arméniennes et syriennes. « Les héritières et veuves sont recherchées, elles transmettent terre, titre et couronne », ajoute André Sacy.
La ville ottomane
Abordant le chapitre ottoman, il signale que malgré les bombardements par les Anglais et les Australiens qui ont détruit les murailles en 1840, Saïda est restée intramuros, jusqu'en 1934. Elle abritait des maisons modestes - à l'exception de quelques demeures à cour et iwan dont les anciens palais Hammoud - des commerces, des dépôts, une synagogue, quatre églises et sept mosquées. On avait accès à la vieille ville par trois portes ouvertes le jour et fermées la nuit :
la porte de Beyrouth ou porte basse (« tahta ») ;
la porte d'Acre ou porte haute (« faouka »)
et la porte du port Sud dite « porte de la tente » (el-khaïmé).
Il n'y avait pas de route côtière, mais juste un sentier qui menait à la porte du Sud.
La ville offre aujourd'hui une multitude de bâtiments ottomans civils, militaires et religieux.
Tout d'abord, le palais Hammoud, ou Madrassat Aïcha, est « une splendeur, et je vous conseille vivement d'aller le visiter », a-t-il dit. La « echleh », ou la caserne des janissaires des Hammoud chargés de la collecte des impôts au XVIIIe siècle, a servi aussi aux soldats ottomans, ensuite aux militaires français durant le mandat puis aux Forces de sécurité intérieure, avant d'être totalement abandonnée.
Quant à la cathédrale Saint-Nicolas qui se dresse à l'emplacement d'une ancienne basilique du VIIIe siècle, elle a été construite en 1690 et a été le siège de l'archevêché orthodoxe de Sidon. Elle offre quelques particularités, « une petite salle où saint Paul et saint Pierre se seraient réunis. Une trappe pratiquée dans le plancher donnerait accès à un tunnel, qui, d'après la tradition, relierait le château de la Mer au château de la Terre. Mais jusque-là, personne n'a pris la peine de le parcourir pour vérifier la véracité de la légende ».
Selon le conférencier, une voûte repose sur un mur qui aurait coupé la cathédrale en deux parties lors du schisme entre orthodoxes et catholiques, et cette voûte, qui se prolonge de l'autre côté du mur, est considérée comme « la plus grande du Moyen-Orient ».
Signalons que ce lieu, qui a gardé son iconostase et ses trois portes orientales, est actuellement en pleine réhabilitation.
Saïda a aussi sa synagogue. Selon certains historiens, elle daterait de 833 ; pour d'autres, elle remonterait à la destruction du deuxième temple, c'est-à-dire à la période du Christ.
Une photo, prise il y a une quinzaine d'années par Sami Karkabi révèle des caractères hébraïques sur les médaillons. Aujourd'hui, malheureusement, la synagogue est squattée et les caractères sont barbouillés de peinture rouge.
Quant au Khan el-Franj (caravansérail des Français), « il n'a pas été construit par Fakhreddine », a martelé le conférencier. « Il date de 60 ans avant l'émir. C'est le grand vizir Mehmed Pacha qui en est le promoteur. Il l'a loué aux consuls et aux commerçants français en 1540 pour 792 piastres. D'ailleurs, Cuinet en parle déjà en 1590 », signale-t-il encore, avant d'expliquer que le caravansérail est composé de trois propriétés différentes : le grand khan, le petit khan et la résidence du consul de France. Les deux premiers appartenaient au wakf de la Mecque ; le dernier, au wakf de Damas.
Le conférencier cite enfin la mosquée al-Omari,
la mosquée Kikhia,
la chapelle des franciscains (Terra Santa), construite par Antoine Catafago en 1856 ;
le musée du savon de la Fondation Audi ;
le palais Debbané ;
la maison Sacy, qui s'élève sur des fondations croisées ;
la place du Sérail et, à proximité du château Saint-Louis,
les Bains de Fakhreddine, vendus par un dignitaire ottoman (1856) aux jésuites puis aux maristes, qui en ont fait un collège.
Bien d'autres bâtiments plantés au cœur de la médina conservent la mémoire d'une longue histoire.
La « echleh » a servi de caserne aux ottomans, aux français et aux FSI avant d’être abandonnée. Note:Echleh,terme derivé de Castle, Quasr,castello ,Chateau, http://www.blogger.com/blog-this.do?zx=1jl1vctnee0bz
Sur les pas de Jésus, le Messie, en Phénicie/Liban est l’ouvrage de maturité de Martiniano Roncaglia. Il y a mis l’essentiel d’une recherche entamée au début des années 80, à la demande du patriarche grec-catholique Maximos V Hakim. Pour l’orientaliste, aucun doute n’est permis : le Liban fait partie de la Terre sainte, tout comme la Palestine biblique. Les pieds du messie ont foulé la Galilée des nations (Jalil al-Oumam). Il s’est rendu à Tyr et Sidon, à Sarepta, à Cana, ainsi que dans la Césarée de Philippe, aux pieds du mont Hermon, où pour la première fois l’apôtre Pierre a proclamé sa foi dans l’origine divine de son maître. Dans son ouvrage, publié en 2004 en anglais par les soins d’un éditeur qui sera également son ami, l’amiral de marine libanais Samir el-Khadem, directeur de l’Institut arabe d’études orientales et occidentales, Roncaglia déploie une érudition à toute épreuve, au service d’une tradition qui, depuis Eusèbe de Césarée, premier historien de l’Église, situe le village de Cana-de-Galilée, où Jésus a accompli son premier miracle, le changement de l’eau en vin, au voisinage de Tyr. Roncaglia, du reste, n’était pas le premier à localiser au Liban le village de Cana cité par l’Évangile de saint Jean. Des historiens et des hommes de lettres l’avaient également affirmé, en se basant sur les mêmes documents (Youssef Hourani, Nina Jidéjian). Mais il a eu le mérite d’en faire l’exposé exhaustif et fouillé, ce qui rend plus difficile la réfutation des faits et vérités qu’il établit.
L’Église au Liban n’a pas encore pris l’entière mesure de l’importance de cette découverte historique. Elle continue de douter de la véracité des faits, les attribuant à quelque exaltation poétique infondée, en référence notamment au poète Saïd Akl, fervent partisan de la localisation en terre libanaise du Cana biblique.Pourtant, les faits sont là, clairs comme le jour, malgré les affirmations contraires, toutes hypothétiques, des archéologues et historiens étrangers, renforcées par d’évidents intérêts économiques et touristiques totalement étrangers à la vérité
Malgré un méritoire aménagement du site de Cana, le ministère du Tourisme pourrait, lui aussi, tirer de meilleures conséquences de ce que la présence de Cana au Liban signifie, sur le plan touristique et culturel. Mais sur ce dernier point, sa responsabilité n’est pas en cause, puisque la frilosité de l’Église du Liban empêche toujours ce site d’être ouvertement et généreusement mis en évidence, en particulier sur le plan religieux. Là, plus qu’ailleurs, la convivialité devrait jouer à plein pour que le village mixte de Cana soit désigné comme haut lieu de pèlerinage chrétien, aussi bien pour nous autres Libanais que pour le tourisme religieux étranger. Tout le monde y gagnerait, que ce soit sur un tableau ou sur l’autre. Il faut dire aussi que la guerre et les crises politiques au Liban n’ont pas beaucoup aidé à l’épanouissement du tourisme, qui est aujourd’hui, d’un certain point de vue, une industrie comme une autre.
Archéologie évangélique Le cas de Cana, pour être emblématique du sous-développement culturel et archéologique dont souffre le Liban, n’est pas le seul fait à pouvoir être cité.
L’ouvrage de Roncaglia nous introduit à une véritable « archéologie évangélique » et nous révèle des pans entiers de présence culturelle « phénicienne » indissociablement mêlée au quotidien du Jésus de l’histoire. Grâce à cette archéologie, nous suivons Marie et Joseph, puis Jésus adulte, dans le temple ; nous voyons le Christ déposant dans le trésor de la monnaie frappée à Tyr ; on nous rappelle que ce sont des artisans envoyés par le roi Hiram de Tyr qui ont construit le temple, avec du bois de cèdre généreusement acheminé du Mont-Liban ; on suit encore Jésus marchant sur les routes de Tyr, Sarepta (Sarafand) – où le prophète Élie l’avait précédé – et Sidon, gravissant la haute montagne de l’Hermon, site probable de la Transfiguration, fuyant les questions pièges des Pharisiens et prenant quelques jours de repos dans la Césarée de Philippe, non loin de Banias, des sources du Jourdain… et de Marjeyoun, où une Église dédiée à saint Pierre commémore toujours sa confession de foi.
L’ouvrage de Roncaglia est disponible dans ses versions anglaise et arabe, mais pas encore, malheureusement, en version française.
Doit-on y voir un signe des temps ? Espérons que non, car il est souhaitable que cet ouvrage tout à fait abordable par l’amateur éclairé soit mis à la disposition des lecteurs francophones le plus vite possible. Article de Fadi Noun " L'Orient Le Jour"